Dans la boule de cristal de quatre experts
La Réserve fédérale américaine (Fed) a annoncé cette semaine qu’elle maintiendra son taux directeur près de zéro «pendant une période considérable». Cela signifie qu’on peut encore négocier une hypothèque sous la barre des 3 %, pour un terme de 5 ans, si on se donne la peine de « magasiner ». Les taux vont-ils bouger? Quatre experts frottent leur boule de cristal pour y voir de plus près.
MATHIEU D’ANJOU, ÉCONOMISTE PRINCIPAL, MOUVEMENT DESJARDINS
UNE REMONTÉE GRADUELLE EN 2015
La décision de la Fed (la banque centrale des États Unis) ne change en rien nos anticipations concernant les taux d’intérêt. Nous ne prévoyons pas de hausse d’ici la fin de l’année, mais une remontée graduelle à compter du printemps 2015. Cette augmentation ne sera pas assez forte pour provoquer une onde de choc chez les emprunteurs, mais elle risque néanmoins d’avoir un effet négatif sur le marché immobilier. Déjà qu’on sent que ce marché n’est pas en ébullition, on peut deviner que cette hausse des taux, qui est à prévoir, refroidira quelque peu les emprunteurs.
Ce mouvement à la hausse des taux va se poursuivre jusqu’en 2016-2017, avec des taux affichés, sur 5 ans, qui pourraient atteindre jusqu’à 6 % (le taux fixe fermé, au 16 septembre, chez Desjardins, était de 4,89 %). Il faut s’attendre à un cycle de resserrement des politiques monétaires à compter de juin 2015.
PAUL-ANDRÉ PINSONNAULT, ÉCONOMISTE, BANQUE NATIONALE
UN TAUX DIRECTEUR À 2 %
Nous maintenons que la première hausse du taux directeur de la Fed se fera en juin 2015, et que ce taux atteindra 1,25 % en décembre de la même année. Pendant ce temps, la Banque du Canada emboîtera aussi le pas, en portant son taux directeur à 2 %. Cela aura une incidence sur les taux hypothécaires, qui vont augmenter progressivement, sur un horizon de 24 mois. On parle de hausses modérées. C’est important qu’il en soit ainsi pour ne pas déstabiliser le marché hypothécaire et l’économie en général. Ces mouvements seront influencés par l’économie américaine, qui semble reprendre de la vigueur.
Chose certaine, d’ici à 12 mois, les taux directeurs, tant ceux de la Fed que de la Banque centrale du Canada, seront à la hausse. Parce qu’un taux directeur de 0 % tel que pratiqué par la Réserve fédérale américaine, c’est insoutenable à long terme. Au Canada, on peut deviner qu’un taux directeur à 1 % et une inflation à 2 %, c’est étonnant. Une quasi-certitude : les taux des obligations du gouvernement du Canada vont augmenter.
SÉBASTIEN LAVOIE, ÉCONOMISTE EN CHEF ADJOINT, BANQUE LAURENTIENNE
PAS DE CHOC DES TAUX
On doit comprendre que la Fed, dans sa décision de ne pas hausser son taux directeur, a voulu se donner une certaine flexibilité en vue d’une action à venir. Et ce moment approche, mais il n’est pas imminent pour autant. D’ici là, il n’y a rien à craindre pour ceux qui vont prendre une hypothèque. À vrai dire, l’environnement sera « gérable » au cours des prochains dix-huit mois, et c’est la dynamique plus ou moins vigoureuse de l’économie nord-américaine qui décidera du fameux « timing » pour relever les taux. Ces taux, sur cinq ans, ne devraient pas augmenter outre mesure, tout au plus de 100 points de base, d’ici à la fin de 2015.
Personne ne parle de laisser filer les taux vers le haut, et cela écarte du coup toute possibilité d’un choc des taux, comme on en a vu au début des années 1980, par exemple. Une observation : les baisses de taux hypothécaires observés ont compensé pour la hausse des prix des propriétés. Mais il serait étonnant que les taux soient aussi bas qu’ils le sont actuellement, dans 5 ans.
HUGO LEROUX, PRÉSIDENT HYPOTHECA
EN ATTENDANT LA HAUSSE
Est-ce que les taux vont remonter ? C’est la même question qui revient. Et on continue de surveiller ce qui se passe du côté de la Fed et de la Banque du Canada. Mais nos clients, eux, n’y croient pas, ils considèrent que ces taux très bas, c’est un acquis. Mais le jour où les taux vont augmenter de 1 %, il va y avoir de la nervosité dans l’air. Ça nous rend nous-mêmes un peu nerveux quand on se met à y penser. Il faudra voir !
Entre-temps, des taux qui se négocient à 2,89 et à 2,99 %, on voit ça depuis plusieurs années. Or, les banques n’affichent pas ces taux, même si c’est ce qu’elles consentent à leurs clients qui négocient. Il faut toutefois préciser que les taux affichés des banques – qui se situent autour de 4,79 % sur un terme de 5 ans, c’est une chose, tandis que les taux négociés, c’en est une autre. L’écart est considérable entre les deux taux.